Piaget au secours de l’exégèse ? Piaget nouvel homme fort de la catéchèse ? Non pas tout à fait, je me suis posé la question de savoir si nous pouvions lire le texte biblique en utilisant quelques uns des fondements de la théorie de Piaget sur le développement de l’individu.
Rappel
Piaget est biologiste au départ, mais s’est très vite intéressé à la connaissance et à la construction de celle-ci. S’il a consacré une bonne partie de sa vie à l’étude des enfants, c’est qu’il s’est rendu compte que les modes de construction de la connaissance changeaient assez fortement au cours des premières années de l’existence et ce, face à la complexité du monde.
Sa question fut donc de voir s’il était possible de calquer la phylogénèse sur l’ontogénèse, c’est à dire de voir l’évolution des différentes espèces vivantes à partir du modèle de l’évolution de l’être humain.
Vaste programme…
Son approche
L’idée n’est pas de reprendre les différents stades de son développement, mais de souligner quelques éléments de son approches. Cette dernière se situe dans une perspective évolutionniste et souligne entre autre, que dans les différents stades de développement, l’individu :
- Redéfinit le stade antérieur en fonction de son évolution. On part toujours de ce qui est pour le transformer et l’adapter ;
- Est en perpétuelle interaction avec son environnement ;
- Conceptualise en acte. C’est dans l’action que l’individu connaît ce qu’il fait. Toute connaissance d’un objet ou d’un concept n’a de sens pour lui qu’en fonction de l’action qu’il exerce sur lui.
A l’interrogation du texte biblique
Pour être très concret il faudrait que nous puissions interroger le texte biblique en repérant des savoirs qui « se redéfinissent » en fonction de leur « lien » avec l’environnement (au sens large du terme) et qui doivent à l’action le fait d’être compris différemment.
On est assez aidé si on essaye de trouver des textes ou des histoires qui sont repris par plusieurs auteurs. Les 4 évangiles, qui racontent à leur façon l’histoire de Jésus, fournissent une foule d’exemples. Tentons une illustration, mais avec deux textes de l’Ancien Testament, histoire de surprendre et de faire un peu autre chose, comme celle du recensement orchestré par le roi David.
Le recensement du roi David
Cet événement est rapporté par deux narrateurs dans les récits de l’Ancien Testament et cela nous donne la possibilité d’entrer de plein fouet ni plus ni moins dans deux conceptions assez différentes de concevoir Dieu.
Jugeons plutôt sur « texte »
Les textes bibliques
- 24.1 La colère de l’Éternel s’enflamma de nouveau contre Israël, et il excita David contre eux, en disant: Va, fais le dénombrement d’Israël et de Juda. (2 Samuel 24,1)
- 21.1 Satan se leva contre Israël, et il excita David à faire le dénombrement d’Israël. (1 Chronique 21,1)
On le voit un même acte dont l’origine est attribuée pour le rédacteur des livres de Samuel à Dieu (l’Eternel) et pour le rédacteur des Chroniques, à Satan. En regardant les dates des récits, on se rend compte que le texte des Chroniques (milieu du IVe siècle avant JC) est d’une part plus récent que celui de Samuel (VIIe-VIe siècle Avant JC) provient d’un milieu ayant été influencé par la culture grec qui, comme on le sait, à un panthéon plus étoffé que celui du peuple d’Israël. C’est en partie pour ces deux raisons que sont attribuées aux divinités des fonctions différentes.
Pour reprendre notre exemple en question, il ne pouvait pas être concevable pour le rédacteurs des Chroniques qui écrit après celui des livres de Samuel, d’imaginer que Dieu puisse influencer l’homme à faire quelque chose de mal…
Reprise – relecture – redéfinition
En clair le rédacteur de la Chronique du roi David « adapte » la compréhension d’un fait dans son environnement propre ; le monde grec (plus manichéen). Le concept d’action, si important à Piaget se trouve, on l’aura compris, dans l’acte d’écrire, de raconter et d’attester l’action de David.
D’un point de vue pédagogique, on peut prendre ces deux façons de connaître Dieu comme deux stades différents de la propre évolution de sa pensée sans, et je le souligne encore, qu’on dresse une hiérarchisation entre ces deux stades ou qu’on « se plaque » sur l’ordre qui nous est donné par la chronologie biblique. Qu’on ait pu avoir une idée de Dieu et un jour et une autre un autre jour ne doit pas nous faire dire que ce que nous pensions avant était moins valable que ce que nous croyons maintenant.
Du point de vue théologique, nos images de Dieu ou celles de Jésus peuvent être interpellées, nous seulement parce qu’on sait qu’elles évoluent mais aussi parce qu’une telle démarche peut nous conduire à avoir un regard sa manière de croire :
- Quelles étaient nos manières de croire, de penser Dieu ?
- Qu’est-ce qui a fait que ces dernières ont changé ?
- Quel fut notre cheminement et surtout de quoi sommes-nous partis pour arriver à ce que nous croyons à présent ?
Ainsi, pour conclure, si Piaget peut nous aider à comprendre deux stades du croire, ce qui en soit n’est pas inintéressant, il nous invite aussi à questionner notre démarche de compréhension de Dieu et les causes qui ont fait que nous sommes passés d’une compréhension à une autre.
Guy Labarraque