Introduction
J’ai accepté « à la dernière » le défi de venir prendre la parole pour assurer la prédication du dimanche 22 mai, dit de la Trinité, je ne savais pas que je devais enfermer le tout dans 12 minutes… Si le collègue m’avait dit cela avant, aurais-je accepté ? Car des deux défis à relever ; préparer un message à la dernière et devoir prêcher en 12 minutes, ce dernier est de loin le plus difficile.
Textes bibliques
Messages
La Trinité : l’art de résoudre les problèmes sans les poser
Plantons le décor en étant « provocant », comme le font les jeunes, en disant de la Trinité que c’est l’art de résoudre les problèmes sans les poser… Autrement dit, un résultat sans processus. On ne sait rien de ce qui est en amont ou qui explique ce à quoi nous arrivons.
Signalons ensuite que la Trinité n’est pas biblique stricto sinsu ; cela ne facilitera pas la tâche des pères de l’Église pour essayer de se mettre d’accord. Bref. Un mystère dans tous les sens du terme.
L’art de résoudre les problèmes sans les poser… Paul ne nous le dit-il pas à sa façon, lui qui commence son chapitre 5 par une conclusion ! 1 Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ; 2 par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis… (Romains 5,1 et 2a)
Pour ma part, il me manque toute la démonstration qui m’explique en quoi Jésus-Christ est celui par qui tout doit passer ! Rien de tout cela dans l’ensemble du chapitre 4. Paul nous montre que la promesse faite à Abraham est une œuvre de la foi à laquelle Dieu rend justice et que cette dernière, la justice, nous est donné à nous qui croyons en Dieu qui a ramené Jésus à la vie en le ressuscitant…
Un peu compliqué n’est-il pas et surtout sans énormément de logique. Mais la semence est jeté en terre… Que va t-il en sortir ?
La Trinité : l’art de savoir communiquer
C’est à cette tâche que les Pères de l’Église vont s’atteler dès le IVe siècle qui ne pourront pas se satisfaire en disant simplement que c’est l’histoire de Dieu, d’un homme avec l’Esprit entre les deux…
La Trinité, c’est tout un art… c’est l’art d’explorer l’unité de l’homme-dieu et du Dieu unique à travers la personne d’un entre deux ! Rien que ça mais tout ça !
Un entre deux… Car ce à quoi « se coltine » la Trinité, c’est de rassembler ensemble, l’incréé (la divinité) et la nature (l’homme) qui est créée… La quadrature du cercle !
La Trinité est un dispositif, un arsenal, une machinerie absolument fantastique qui ose faire de la « médiation » une religion ; une mise en miroir du « médium dans le message » si je veux employer quelques uns des termes de Régis Debray.[1]
Un dispositif que les hommes ont quand même voulu essayer de définir au tout début de l’ère chrétienne sans jamais y parvenir, car lorsque certains tentent d’en faire :
- une addition, d’autres diront qu’il s’agit d’une dualité !
- une union, d’autres diront que c’est en fait une réunion à plusieurs !
- une mixtion ouvrant à l’échange, d’autres ne manqueront pas de dire qu’en Église, l’échangiste, aussi est mal vu !
- une fusion, d’autres diront que cela n’apportera de la confusion.
Mais quand on parle de communication des idiomes ou des deux natures, on croit trouver la Solution. Ce ne sera pas « la » solution, mais une solution, le plus petit dénominateur commun. Bref l’art avait trouvé son outil, son instrument, la « com. » !
Chacune des natures communiquerait à l’autre ses propriétés sans les perdre… Une idée qu’on ne peut pas refuser à Jean qui dans son verset 15 déclare : « 15 Tout ce que possède mon Père est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi. » (Jean 16,15)
N’allons pas plus loin car vous l’imaginez bien, le débat ne sera pas clos, simplement plus pointu ; l’important est bien dans le fait que nous ayons trouvé une dynamique, un mouvement, voir un jeu, présent lui aussi dans le texte des Proverbes qui met scène Dieu et la sagesse « 30 Je fus maître d’œuvre à son côté, objet de ses délices chaque jour, jouant en sa présence en tout temps, 31 jouant dans son univers terrestre ; et je trouve mes délices parmi les hommes. » (Proverbes 8,30s)
La Trinité un art de vivre
Le troisième élément serait de prendre acte des conséquences de ce dispositif trinitaire lorsqu’il va s’imposer avec la violence que l’on sait car la Trinité ne va pas rester dans la sphère religieuse ou n’être qu’un mystère divin, (même si c’est le premier), elle va se répandre dans l’ensemble du monde politique, culturel, économique et social.
Indépendamment même de ce que les uns et les autres peuvent en penser, la Trinité va avoir des conséquences fondamentales, donnons-en quelques exemples dans quelques uns des domaines que nous venons de mentionner.
En politique
Lorsque l’empire de Rome devient Chrétien, c’est justement en s’appuyant sur les conséquences de cette dynamique de communication des natures que l’empereur s’appuie. Il n’est plus l’homme-Dieu, inaccessible, intouchable, il est aussi celui qui est choisi, le représentant de l’humanité avec un grand H.
L’histoire
Le temps, traversée par ces hommes qui s’approprient les propriétés que l’Église a fini par reconnaître à Jésus va rigoureusement changer le cours de l’histoire :
- Finit de traverser l’existence terrestre considérée comme négative pour atteindre l’essence, comme le prônait le platonisme qui n’a d’yeux que pour la finalité vécu dans un au delà !
- Finit de vivre cycliquement les événements qui ne sont jamais que les mêmes qu’hier pour être ceux de demain.
Ce qui advient, c’est ni plus ni moins que la naissance de l’histoire ; l’espace temps qui fera qu’il y a un avant et un après. On entre dans une dynamique progressive :
- Pour le meilleur au sens ou cette communication des natures transcendent quelque part l’homme en lui faisant connaître la part divine qu’il a en lui ; la nature visitée, revisitée suscitant l’acceptation de l’humain comme la chose la plus importante de la création. Il n’y a pas sur terre une créature qui ne soit pas l’écho de cette dynamique régénératrice ;
- Pour le pire si on pousse ce mouvement à l’extrême pour dire que l’humain est l’accomplissement de tout. Si Dieu ne s’était pas fait homme, l’homme eut-il pu devenir lui-même son propre Dieu, tel que l’ont affirmé des philosophes comme Nietzsche ou Feuerbach et plus concrètement des idéologues comme Lénine ? Non ! Sans communication des idiomes, pas de Constantin, pas de monarchie de droit divin et pas de Duce, de Caudillo ou d’Hitler.
Dans le religieux
Politique, historique et je pourrais ajouter beaucoup d’autres domaines dans lesquels la Trinité a planté sa tente, mais terminons par le religieux en citant les tragédies se nouant autour des fameuses caricatures… Ce n’est ni plus ni moins que la poursuite des débats qui se sont déroulés au VIIIe siècle, lorsque la chrétienté s’est confrontée à la pluralité du message biblique qui d’un côté stipule au livre de l’Exode : 4 « Tu ne te feras pas d’idole, rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. » (Exode 20,4) et qui de l’autre déclare « qui m’a vu » nous dit Jean « a vu le Père » (Jean 14,9).
Une Écriture plurielle qui n’a en soi rien d’extraordinaire, mais qui va aboutir à un Concile, celui de Nicée II (787), qui dans l’un de ses « canon » conféra à la matière la possibilité de dessiner ce qui n’a pas de matière en précisant : qu’Adorer n’est pas vénérer
C’est la confusion des deux qui fait le péché de l’idolâtre et celui de l’iconoclaste ; ce qui ne va pas empêcher certains de commettre l’irréparable, tant à l’époque de la Réforme, qu’aujourd’hui.
Au fond tant l’idolâtre que l’iconoclaste font la même erreur, ils prennent le support pour ce qu’il n’est pas : ils lui donnent une force qu’il n’a pas en le coupant de sa fonction d’indicateur.
Un panneau, par exemple, sur lequel on voit le symbole d’une tour triangulaire suggérant Paris n’est pas Paris que je sache ! Les iconoclastes qui ne supportent pas qu’un signifié X indiquant Le signifiant Y en le détruisant, prennent le signifiant (dans l’exemple Paris) pour le signifié (la ville de Paris) et tombent dans le panneau :
- Ils arrêtent le mouvement ;
- Ils stoppent cette communication des natures
- ils arrêtent les trains en marche ou les avions en vol pour le malheur de tous.
Si l’idolâtre perd la dynamique entre culture et culte, l’iconoclaste perd le divin et l’humain à la fois.
Les images représentant la divinité ou Mahomet ne sont pas plus Mahomet que les images pieuses du XVIe n’étaient, Marie, les Saints, Jésus, le Saint-Esprit ou Dieu. Vénérer n’est pas adorer tout comme détruire n’est pas conduire.
Il y a toujours une distance à avoir avec la lettre, les signes, les symboles, les images. Ils sont, dans cet espace-temps, ce qui doit nous interroger en permanence sur « nos » (et pas qu’une parmi d’autres) représentations de ce que nous considérons comme faisant référence.
Il faut raison garder et bien garder cela à l’Esprit (grand E et petit e) !
Adorer n’est pas vénérer et dans cette distinction là se joue les enjeux de notre vie de foi d’aujourd’hui, plus prosaïquement, ce serait par exemple se rappeler que le dogme n’est pas la foi.
Gardons cela à l’Esprit (grand E et petit e encore une fois) !
Conclusion
La Trinité n’est pas à prendre ou à laisser ; n’en déplaise en tout cas à ceux qui trouvent qu’elle a fait du mal et elle a fait du mal. Elle a modelée notre façon de vivre la vie politique, sociale, culturelle et religieuse. Elle est une clef de compréhension pour énormément de questions d’aujourd’hui ; la rejeter par principe pourrait nous conduire à devenir soi-même :
- dogmatique alors même que nous ne le voudrions pas
- plus à même de comprendre les événements du monde
- et à se priver de la dynamique qu’elle insuffle.
Et avec cela, elle est dangereuse si ériger en dogme et l’infaillibilité qu’on lui reconnaît est désastreuse. C’est un indicateur, un miroir :
- c’est ce qui doit me permettre de réfléchir pas de fléchir
- c’est un instrument de une mesure pas la mesure.
Amen !
[1] Régis DEBRAY, cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, 1991. Edition folio essais, les pages 125 – 168.
Prédication donnée à Combremont-le-Grand et Trey (canton de Vaud – région La Broye)
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