Comment croient les enfants ?

L’objet de cet article est d’essayer de modéliser « la » manière de croire des enfants… En tout cas celle qu’il me semble avoir pu reconnaître par des expériences personnelles ou d’autres ainsi que par quelques écrits plus synthétiques.

Pas de prétention à être exhaustif, mais des pistes qui donnent quelques balises qui dans tous les cas peuvent nourrir une réflexion. En partant de la pratique, j’essaierais de donner quatre notions théologique de ces enfants observés… Cette réflexion s’inscrit dans le courant de la « Kindertheologie »

Des théologiens « hors les murs »

A la sortie d’un culte, une catéchète me raconte qu’à la suite d’une narration de la parabole du samaritain (Evangile de Luc 10,29ss) aux enfants de sa volée (des enfants de 10 – 11 ans), cette dernière eu l’idée de poser cette question aux enfants : « qui avait souffert le plus dans l’histoire du samaritain portant secours au blessé » Un enfant répondit : « l’âne ! »  Pourquoi lui a demandé alors le catéchète ? « C’est lui qui a porté le blessé à l’auberge ».

Je ne connais pas de commentaires incluant l’animal de cette parabole, ce qui en la matière permet en tout premier lieu de circonscrire le référentiel « adulte » qui exclut cette entrée ; pour « nous » l’animal n’est pas une clef d’interprétation que nous pourrions utiliser. Pour les enfants, en revanche, c’est tout autre chose et je ne l’apprends à personne en disant que les animaux sont des « personnages » essentiels de leur univers. Ils son,t depuis leur plus jeunes âge, un peu ce que Winnicott disait du jeu à savoir des « objets transitionnels », c’est à dire, pour ces personnages, des moyens d’atteindre d’autres espaces ou de franchir des limites que la normalité n’admet pas.

Pourquoi donc s’arrêter aux histoires des hommes surtout lorsqu’elles impliquent des animaux ? Pourquoi s’arrêter aux limites que nous nous imposons parce que la sagesse nous apprend à faire le tri ? Les enfants sont très sensibles à l’égalité de tous les personnages d’une histoire, il est donc par conséquent assez normal qu’ils dépassent nos cadres interprétatifs. De ce point de vue là, l’enfant est « hors les murs », or du giron classique de l’interprétation des textes bibliques.

Des théologiens de l’« ici et du maintenant » (Hic et nunc)

Une autre expérience rapporte qu’un enfant de 6 ans à qui ont a demandé pourquoi Jésus, tenté par Satan dans le désert, n’a pas essayé de transformer les pierres en pain a répondu : « parce que Jésus n’aime pas le pain ! »

Là encore, surprise et interrogation des adultes qui n’ont certainement pas beaucoup entendu cette réponse. Sans vouloir faire de la psychologie au rabais, en identifiant la période du « non » de cet enfant, nous pouvons relever l’importance du présent, du quotidien. C’est bien évidemment tous les jours que les enfants se positionnent face à ce qu’on leur propose et en particulier face à la nourriture. Si nous reformulions cette parole d’enfant, pour gagner en compréhension dans le monde des adultes, nous pourrions avoir : « Pourquoi, diable aller chercher midi à quatorze heure ? » ou « pourquoi aller chercher au loin ce qui est si proche ? »

La réponse de l’enfant, logique, claire, net et précise nous ramène au lieu même où beaucoup de solutions se trouvent : l’ici et le maintenant ! On l’aura compris, on a  là sans doute plus qu’une réponse, mais une manière d’être et de penser et pour le dire avec un grand mot une théologie qui nous ramène sans cesse à l’existence de tous les jours. L’important c’est maintenant !

Des théologiens de la création

Il n’est pas surprenant que des thèmes comme la création parlent aux enfants, les animaux d’une part, mais aussi la nature, le soleil, la lune, les étoile qui figurent dans ces récits et qui les inspirent profondément. L’intérêt ici consiste à s’interroger sur la façon dont les enfants parlent de la création. L’extrait d’un entretien entre des élèves et leur enseignante (nous sommes en Allemagne où la religion est une des matière enseignée) est assez emblématique :

Claudia (Enseignante) : qu’est-ce que tu as dessiné ?

Anna (élève) : Une maison, un arbre…

Barbara : j’ai dessiné Dieu qui fait pousser les fleurs, et des gens, comment un enfant guérit.

On voit très bien que l’origine, la chronologie, l’évolution n’est pas l’angle d’attaque des enfants. S’ils sont, comme nous le mentionnions concernés par l’hic et nunc, ils s’intéressent à ce qui peut surgir tout d’un coup sans que nous sachions pourquoi (dans notre logique d’adulte évidemment). Barbara dans sa réponse, insuffle le cas d’un enfant qui guérit, c’est tout sauf anodin. En reformulant et en interprétant à nouveau, il ne nous est pas impossible de dire que la pour la petite Barbara, comme Dieu fait pousser les plante, de même et par analogie, il fait pousser les gens et leur santé…

Des théologiens rationalistes

Ce qui surprend en entendant les enfants raisonner ou ré-fléchir leur croyance, est tout simplement la logique dans laquelle ces derniers restent tout au long de leur réflexion. Ils croient, mais avec une logique certaine. Exemple : un enfant déclare à propos de la mort : « heureusement qu’il y a des gens qui meurent, sinon on serait trop nombreux sur terre ». Logique irréfutable qui montre bien qu’un thème existentiel n’est pas du tout pris de la même façon par les enfants que par les adultes. Ces derniers la prennent sous l’angle individuel alors que les enfants la prenne sous l’angle du collectif, du général. « Qu’en pensez ? que la question métaphysique de la mort en elle-même, de la finitude et de l’angoisse, ne concerne que modérément les enfants » écrit Michel Eltchaninoff, rédacteur de Philosophie Magazine. Une remarque à entendre dans le cas d’un enfant qui n’est pas touché dans sa chair par la mort de son animal de compagnie ou d’un proche. Le raisonnement des enfants se rapprochent en quelque sorte d’une pensée analytique qui décortique et qui construit, à l’image d’un « jeu de meccano. »

Conclusion

Au terme de ce parcours très bref, construit à partir d’expériences récupérées ici ou là, le sentiment qui reste est celui de l’étonnement parce que ces enfants ont une réelle facilité d’affronter le monde et ses questions dans leur parole. En même temps, cette confrontation au réel à un prix être soi-même. Et c’est là qu’il est une gageure pour nous les adultes qui sommes rattrapés par la socialisation, le rôle et la puissance. L’« habit fait le moine » dit-on, pour les enfants comme pour les adultes, seulement les enfants, eux savent que c’est un jeu et qu’ils se déguisent, alors que pour nous c’est souvent tout sauf un jeu, voilà sans doute pour quoi il y a beaucoup de casse.

Guy Labarraque

Sources

  • Dossier : « Comment pensent les enfants ? » in Philosophie Magazine, avril 2010
  • Dossier : « les enfants théologiens » dossier composé de trois textes, proposé par l’OPEC et disponible sur demande.
  • Winnicott, D.W. (1971-1975). Jeu et réalité, Paris, Gallimard.