Les jeunes à l’Église ? Ouais…

On nous demande souvent à nous, aumônier de Jeunesse en Église ou au gymnase, ce qui peut bien motiver les jeunes à venir à l’Église ou plus précisément : Qu’est ce qui peut encore susciter qu’un jeune s’intéresse à la foi chrétienne et à fortiori à l’église ?

J’ai pensé à un texte que nous avons la chance de lire en trois versions, chez Marc, Matthieu et Luc et qui raconte comment Jésus intervient auprès de la fille d’un notable que le père donne pour morte…

Pourquoi ce texte ? Tout simplement parce que depuis le début 2016, les gymnasiens qui ne vont pas biens sont assez nombreux ; non pas qu’ils soient tous dans cet état, mais force est de constater que nous rencontrons, nous aumôniers et membres des services, des jeunes dans des situations délicates ; parce qu’en rupture complète avec leurs parents, seul au milieu de leurs camarades et parfois même sans ressources… Bref des jeunes dont la vie semble les avoir désertés.Essayons de croiser les destins des personnages du texte de Matthieu (Mt 9, 18 -26) avec les vies de ces jeunes que j’ai la chance de croiser aux gymnases et que le journaliste et grammairien Maurice Chapelan définit comme : « ceux qui attendent de vivre et ce face à l’enfant qui se laisse vivre, à l’adulte qui essaye de vivre et au vieillard qui lui essaye de survivre. »
Lecture biblique : Matthieu 9,19-26

1. Le cadre

18Comme il leur parlait ainsi, voici qu’un notable s’approcha et, prosterné, il lui disait : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. » 

La première chose qui saute aux yeux c’est que ce n’est pas la jeune fille qui parle mais son père, une situation partagée par beaucoup d’adolescents et qui, pourrait-on dire, plante le cadre. On a dans les mots du papa, deux choses importantes :

  • Le code social : en lisant qu’il est notable et qu’il se prosterne en public on sait qu’il va demander quelque chose d’important en signifiant en même temps qu’habituellement, c’est à lui qu’on demande des choses. Même en situation « demanderesse », il ne perd pas le rang, il est en conformité avec les normes… C’est très parent !
  • Le diagnostic ; ma fille est morte. On note souvent ici la différence entre le récit de Matthieu d’un côté et ceux de Marc et Luc de l’autre qui disent qu’elle est en train de mourir ; ce qui donne une touche dramatique à l’histoire. Ici, le père est catégorique, il sait qu’elle est morte, ça ne fait aucun doute. L’adulte sait beaucoup de choses, il sait même tout… Même si ce n’est pas son domaine, surtout lorsque ce n’est pas son domaine. Il n’est pas encore assez vieux pour se rendre compte que la seule chose qu’il sait c’est qu’il ne sait rien.

2. La Dramatique

Après le cadre, voici les personnages : « ma fille est morte il y a un instant mais viens, impose-lui les mains, et elle vivra

Mort physique mais aussi mort psychologique, psychique, voire spirituelle. Une interprétation que le texte de Matthieu appelle beaucoup plus que les autres évangélistes qui, je le rappelle, « joue la montre » : « dépêche-toi de venir avant que ce ne soit trop tard ! » pourrait-on comprendre des plumes de Marc et de Luc. Ici :

  • Le père  indique que sa fille est morte, c’est tout. Autrement dit : je ne peux plus rien pour elle, c’est fini… De toute façon, elle vient de rater son semestre, elle ne passera pas son année… Elle n’est pas à la hauteur de ses parents. Mais enfin ma fille regarde ton père ; lui qui s’est tant donné, lui a tout fait pour toi, lui qui s’est sacrifié pour te donner tout ce qu’il était possible d’avoir ! Enfant ingrat. Mais au fond, est-ce encore ma fille ?

Avec ces paroles d’une extrême violence, n’oublions pas la souffrance et l’impuissance qui habitent ce papa devant son propre échec et qui remet tout à Jésus : « Peut-être que tu pourras en faire quelque chose, mais moi (ou nous si on inclus les deux parents ; je/nous n’y arrive/ons pas. » « Si tu arrives à la toucher peut-être pourra t-elle se reprendre et repartir !

Expression d’une colère mais en allant voir Jésus, le père s’adresse à celui qu’il croit être le seul à encore pouvoir faire quelque chose. Nous ne sommes pas dans la demande utilitariste que nous pourrions comprendre chez nos deux autres évangélistes dans lesquels le Père demande un geste en vue de la guérison… Nous sommes ici dans le « tout ou rien » de la dernière chance.

  • L’adolescente même si elle ne parle pas crie « Et moi où suis-je dans vos projets ? » Une colère non moins importante : dois-je être une seconde maman, la figure parfaite ? Celle que tu n’as pas réussi à être ! »

Là encore et surtout là se tisse sur la colère le désespoir…

Détail intéressant, où est la mère ? Ou es la maman ? On se serait attendu à ce que ce soit la maman qui vienne vers Jésus pour lui demander son aide. Et bien, là encore, si la Bible ne peut trahir son contexte d’une société patriarcale, elle a aussi des passages où il semble que l’homme prenne sa place d’éducateur, lui que nous situons toujours dans le monde. Mais la mère n’est peut-être pas si loin que ça…

3. L’action

Intéressons-nous à présent à l’action. 19S’étant levé, Jésus le suivait avec ses disciples.

Petit verset de rien du tout décrivant une double action de Jésus avec des disciples qui suivent le mouvement : Il se lève et suit le père.

  • S’étant levé : Mais qu’est-ce que ça signifie ? Tout simplement qu’il :
    • ne fait pas de chichi
    • ne demande pas si la demande est valide ou non.
    • Ne remet pas au lendemain ce qu’il faut faire immédiatement.

Jésus ne se met pas à part avec ses disciples pour savoir s’il faut y aller tous ou pas ; aucun conciliabule. La TOB a raison de traduire ce verbe par un participe présent ; l’action n’en est que plus spontanée, il se lève et…

  • Il suit. Jésus, là encore, c’est tout bête, suit ! Quoi dire ? Qu’il accepte le protocole que le père lui impose. « Viens, j’ai besoin de toi – ok je te suis. » Une confiance qui n’est pas loin d’être une inconscience, voire une manière de se compromettre car :
    • Il vient de se griller auprès des autorités en annonçant le pardon des péchés (Mat 9,1-12).
    • Il se disqualifie auprès des siens en ayant appelé comme disciple, un collabo, un collecteur d’impôt (celui-là même qui écrit l’histoire, Mt 9,9-13).
    • Il vient de rompre avec le baptiste et les siens à propos du jeûne (Mt 9,14-17) !

Bref, tout ça n’est pas très raisonnable ! Mais quand on est touché sommes-nous raisonnable ?

1ère Thèse

Qu’est ce qui peut encore susciter qu’un jeune s’intéresse à la foi chrétienne et à fortiori à l’église ?

Une Église qui se lève… et qui suit ; entendons par là, une Église qui suit parce qu’elle accompagne « ses jeunes » là où ces derniers veulent aller, sans tergiverser. On a ici avec ce petit verset 19, le texto de Évangile ou d’une Église qui plait aux jeunes… Un verset propice à faire le buzz sur Tweeter ou sur WatsApp.

Les lecteurs attentifs de l’Écriture sauront que nous avons en grec le verbe qui sera employé par ce même auteur pour signifier la résurrection de Jésus…

Qu’est-ce que cela signifie que de se lever et de suivre un jeune au gymnase ? C’est taire en nous notre voix. Il n’y a pas de plus belle joie que d’accompagner une jeune dans sa démarche spirituelle ; que cette dernière soit chrétienne ou non. C’est suivre au sens d’accompagner pas où nous souhaiterions qu’il aille, mais le suivre dans son histoire de vie aussi complexe qu’elle puisse être.

Suivre un gymnasiens musulman c’est par exemple l’aider à être plus musulman au sens de mieux connaître l’Islam, son histoire, afin qu’il soit mieux avec lui-même. Un jeune bien avec lui-même est un jeune qui sera bien avec les autres.

4. 1ère Rupture : présent à tous et à toutes

20Or une femme, souffrant d’hémorragie depuis douze ans, s’approcha par-derrière et toucha la frange de son vêtement.

Première rupture : de qui et de quoi est-elle faite ? Par une femme qui va toucher Jésus au deux sens du terme (physiquement et spirituellement). Je me demandais bien où pouvait se trouver la mère au tout début du message, elle n’est peut-être pas si éloigné de cette femme là. La voilà sans qu’elle se fasse entendre ; tout comme la jeune fille. Décidément les femmes ne parlent pas beaucoup dans ce texte, même si elles sont les personnes vers qui se tout le monde se dirige…

La femme donne la vie et ne cesse de la perdre : c’est ce que vit cette femme… Est-ce par ce que c’est si difficile et qu’il n’y a pas de mots pour le dire que Matthieu ne lui donne pas la parole ? Peut-être. Vous le savez, une femme qui perd la vie équivaut à une personne morte deux fois :

  • Parce qu’en perdant du sang, on ne la touche pas ; absence de vie affective
  • et que ne pouvant donner la vie, elle est absente de la vie sociale.

C’est la fonction de la femme et de la mère qui est ici en jeu ; cela valait bien un petit arrêt car sans restauration de ces fonctions, je ne donne pas chère de la vie. Mais avait-il le choix ? Jésus ne peut pas poursuivre sans voir cela de plus près.

Ici nous avons non pas un Jésus qui se soumet à une procédure, mais un Jésus qui est contraint de régler ce problème avant d’aller plus loin.

22Mais Jésus, se retournant et la voyant, dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et la femme fut sauvée dès cette heure-là.

Je ne m’arrête pas sur le verset 21 qui est pour le narrateur sa façon de nous dire les motivations de la femme en question, voyons ce geste de Jésus :

  • comme Jésus est touché par le notable, il accepte tout autant l’approche de cette femme qui le touche très concrètement. On ne s’arrête pour moi pas assez sur la signification de ce geste de Jésus qui quelque part signifie à tous qu’il reçoit, qu’il valide, dirions-nous aujourd’hui la démarche de l’être humain à son égard. Il n’y a pas de bonne et de mauvaise façon de venir à Dieu ; ou s’il doit en en avoir une bonne, c’est ce que nous pouvons déterminer pour nous-même.
  • Et puis, Jésus renvoie à la foi de la femme tout la force de ce qui vient de se passer. En tant que protestant ou réformée nous ne pouvons le taire, lorsque l’Écriture en fait mention très explicitement. « Ta foi t’a sauvé » ou « ta foi t’a guéri ». Et soulignons bien qu’il s’agit avant tout de la foi en ce que l’on croit juste de faire… La femme croyait qu’en touchant le vêtement de Jésus elle serait guérie, et c’est ce qui lui arrive.

2ème Thèse : une Église qui sait accompagner l’homme et non forcément ses idées

Qu’est ce qui peut encore susciter qu’un jeune s’intéresse à la foi chrétienne et à fortiori à l’église ?

Là encore la réponse est assez évidente ; ce sera une Église qui validera une démarche spirituelle personnelle. Jusqu’où ? Très loin et je ne suis pas scandalisé lorsque je me rends compte qu’un jeune prend des options que je ne prendrai pas, car l’important est d’accompagner…

Une anecdote… Lorsque j’étais pasteur de paroisse, je me suis trouvé devant un jeune qui me dit quelques temps avant sa confirmation qu’il veut confirmer mais qu’il ne croit pas… Après avoir creuser avec lui sa décision, il ressortait qu’il avait des questions sur la foi mais ne voulait pas blesser ses parents et surtout sa grand-mère qui trouvait que confirmer c’était important. La confirmation était pour lui une étape comme le baptême, le mariage et n’incluait pas forcément la foi…

Voilà au fond, un jeune qui verbalise ce que tout le monde pratique sans se poser de questions ; lui en avait et voyait la confirmation comme un rite social sans foi explicite en Dieu. Après une importante discussion avec le Conseil de paroisse, ce dernier a validé la démarche de ce jeune et nous avons pu l’accompagner.

Avec cet accompagnement peu courant, une Église qui permet à un jeune d’affermir sa confiance en lui, même si ce qui l’habite ne correspond pas à ce qui est confessé ; une telle Église ne pourra être que plébiscitée par les jeunes.

5. 2ème rupture : l’inscription en faux

Venons-en à la fin de notre texte avec le verset 24.

24« Retirez-vous : elle n’est pas morte, la jeune fille, elle dort. » Et ils se moquaient de lui. 25Quand on eut mis la foule dehors, il entra, prit la main de l’enfant et la jeune fille se réveilla

« Elle n’est pas morte », tels sont les mots de Jésus. Mais dans le fond, ses paroles invalide plus le diagnostic qu’autre chose. Il contredit ce qu’on lui a dit, c’est tout. Petite nuance qui n’est pas un petit rien car la dramatique de notre texte est ici clairement établie. Reformulons : « c’est d’autant plus important de repartir à zéro avec ta fille qu’elle n’est justement pas morte, tu t’es planté ! » pourrait dire Jésus au père.

On parle de miracle… Si on regarde bien le texte, Jésus ne fait rien d’autre que de constater et de toucher en prenant la main. Si on veut parler de miracle, force est de constater alors que le miracle n’est pas là où on croit qu’il est !

On en revient aux constats de séparations dans les familles qui nous font tellement peur parce qu’ils sont tellement violents qu’on se persuade d’un non retour. Les positions sont parfois tellement opposées qu’on est persuadé que rien ne peut plus être changé. Et bien non, il ne faut jurer de rien ! Je ne suis pas entrain de vous dire que toutes les brouilles parents – enfants vont connaître de magnifiques lendemains, mais simplement qu’il ne faut jamais dire jamais car on ne sait jamais !

Conclusion

On signale que la jeune fille se réveille avec le même terme que celui que Matthieu utilisera pour décrire la résurrection de Jésus ; c’est le second emploi dans notre texte. C’est une résurrection, mais pas au sens où nous pourrions l’entendre car ce récit ne se demande pas si il y a une vie après mais s’il y a une vie avant !

Le texte nous montre que c’est même la question centrale. Le père, en bon croyant, remet à Jésus le pouvoir de faire renaître quelque chose, Jésus lui répond en disant qu’il se trompe dans son diagnostic et lui pose indirectement la question : mais ne vois-tu pas que la vie est là ? L’espoir, les lendemains qui chantent sont sous tes yeux. Mais les vois-tu ? Voyons-nous la vie qui vit ? Voyons-nous l’espérance vivre dans l’ici et le maintenant ?

3ème Thèse : les jeunes l’Église d’aujourd’hui

Qu’est ce qui peut encore susciter qu’un jeune s’intéresse à la foi chrétienne et à fortiori à l’église ?

Une Église qui cesse de proclamer la résurrection comme quelque chose de présent.

Une Église qui contredit tous les diagnostics que nous pouvons lire et relire et qui affirme que la vie, la vraie vie c’est maintenant.

On dit que les jeunes sont l’Église de demain, c’est faux, c’est l’Église d’aujourd’hui.

Une Église qui va plaire aux jeunes ; c’est voir l’espérance qu’ils ont, même quand ils semblent ne plus en avoir, c’est de ne jamais se dire que c’est foutu, c’est de jamais prendre ses diagnostics pour des conclusions et voir la vie où d’aucuns pensent qu’il n’y en a pas ou plus.

Au fond rien de très nouveau, vous êtes d’accord ! Mais ce n’est pas toujours facile à entendre parce qu’il nous faut une belle dose d’inconscience, d’illogisme et de courage !

Et pour terminer, je vous laisserai avec un souhait de Jean Paulhan académicien et protestant et que chaque jeune en son fort intérieur souhaite pour lui-même : « J’espère vivre jusqu’à ma mort. »

Si notre Église y croit, elle sera une Église jeunes de « jeunes » et avec des jeunes !

Amen !

Télécharger le texte de la prédication au format PDF : Mt 9,18-26_2

Publié par

glabarraque

Pasteur et Aumônier de Gymnases dans le canton de Vaud

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